Une caractéristique unique de la fiscalité et du droit des sociétés au Canada est l’utilisation du gel d’actions dans le cadre d’une réorganisation d’une société par actions. Le présent article propose un aperçu général et introductif au gel d’actions.
Le gel d’actions consiste en général à échanger ou convertir des actions ordinaires en actions privilégiées rachetables dont la valeur sera fixée à la juste valeur marchande des actions ordinaires ainsi échangées ou converties. La valeur de la société va à ce moment cesser de s’accumuler sur ces actions (dont la valeur devient fixe lors du gel), et va plutôt commencer à s’accumuler sur de nouvelles actions ordinaires émises suivant le gel.
Par exemple, un actionnaire unique détenant 100% des actions ordinaires d’une société échange ses actions en actions privilégiées rachetables pour un montant équivalent à la juste valeur marchande (par exemple 100 000 $); immédiatement après le gel, son fils souscrit à 100 actions ordinaires pour une contrepartie de 100 $. La plus-value future sera reflétée sur les 100 nouvelles actions ordinaires émises, tandis que les actions privilégiées gardent une valeur fixe de 100 000$. Le détenteur de ces actions privilégiées aura droit en tout temps d’exiger que ses actions soient rachetées par la société, pour un montant total de 100 000$.
Le gel d’actions est utilisé dans plusieurs situations où l’on souhaite intégrer un nouvel actionnaire, en totalité ou en partie. Le cas typique est celui du fondateur d’une entreprise qui souhaite se retirer des affaires et transférer l’entreprise à son enfant qui continuera l’exploitation. Différentes dispositions fiscales font en sorte qu’on ne peut pas, sans engendrer de conséquence fiscale immédiate, tout simplement donner ses actions à un enfant, ou bien le laisser souscrire à des actions pour un montant symbolique alors que la société a accumulé une valeur importante. L’idée du gel est que toute la valeur de la société soit encapsulée dans des actions privilégiées, afin que les souscripteurs d’actions ordinaires puissent souscrire aux actions pour un petit montant, par exemple 100 $. Le gel est souvent utilisé dans le cadre d’une relève d’entreprise, mais également lorsqu’un ou plusieurs actionnaires souhaitent intégrer un nouveau partenaire.
Différentes dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu (et leur équivalent provincial) permettent d’effectuer un gel d’actions sans qu’il n’y ait de conséquence fiscale immédiate. Légalement, au niveau du droit des sociétés, le gel pourra se faire par échange d’actions. L’échange d’actions est expressément prévu dans la loi québécoise sur les sociétés par actions, et constitue l’une des méthodes pour une société d’acquérir ses propres actions émises. Une convention d’échange sera conclue entre la société et l’actionnaire en question, selon laquelle l’actionnaire vend ses actions à la société (ces actions seront alors annulées), et la société émet en contrepartie de nouvelles actions privilégiées de gel.
Une alternative est de convertir les actions ordinaires en actions privilégiées de gel; dans un tel cas il n’y a pas de transfert d’actions à proprement dit mais plutôt une « transformation » de ces actions. Au fédéral, la conversion nécessitera le dépôt de clauses modificatrices auprès de Corporations Canada, tandis qu’au provincial la conversion peut se faire par résolution des administrateurs et une approbation des actionnaires.
Il est à noter que les statuts doivent prévoir dans le capital-actions autorisé le type d’actions requis pour faire le gel. À défaut, il faudra modifier les statuts afin de créer une nouvelle catégorie. Au niveau fiscal ce sera alors un « remaniement de capital ».
Une nouvelle souscription d’actions ordinaires devra avoir lieu après le gel, pour un montant pouvant être minimal. Si la société est de régime fédéral, il ne faut pas oublier le paiement des actions souscrites, le paiement préalable des actions avant leur émission étant obligatoire afin que l’émission soit valide.